Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
DIEU LA PATRIE LE ROI TERREQUITE CHARITE JUSTICE POUR UNE REVOLUTION NATIONALE ABOUTISSANT A UNE ROYAUTE POPULAIRE ET CHRETIENNE
DIEU LA PATRIE LE ROI TERREQUITE CHARITE JUSTICE POUR UNE REVOLUTION NATIONALE ABOUTISSANT A UNE ROYAUTE POPULAIRE ET CHRETIENNE
Newsletter
1 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 70 581
Albums Photos
6 juin 2021

LE JUGEMENT DE DIEU (pièce en XI Actes)

LE JUGEMENT DE DIEU

PIECE EN XI ACTES

DE MICHEL BARAN

A.P.A.E.Á Madame Basset-Vallon,
mon premier professeur de philosophie à Tolbiac.

 

ACTE I

 

L'ange préposé à la garde :
Mon Dieu, l'archange Michel demande audience.

Dieu :
Toujours aussi ponctuel, c’en est lassant ! Fais le venir.

L'ange :
L'archange Michel, Premier ministre et généralissime des armées divines !

Michel :
Trêve de cérémonial, il n’y a personne à impressionner !

Mon Dieu l'heure est grave ; l'humanité tombe à un niveau moral bien plus bas qu’aux jours de Noé.

Dieu :
Comme tu es alarmiste mon cher Michel ! Il y certes des cruautés presque impardonnables (dues à la méchanceté, à la bêtise ou à l’impatience de mes enfants) mais il y a aussi des modèles de patience, d’amour et de dévouement.

Michel :
C’est vrai, mais c’est justement pour ça que la situation est pire qu’avant !

Auparavant le mal était le seul à dicter sa loi, il ne se cachait pas sous les apparences du bien ; tous (sauf Noé) le faisaient et en avaient conscience !

Mais aujourd’hui, papa, tu vois bien qu’on te prend comme prétexte pour faire le mal. Hier c’était les croisades, aujourd’hui le djihad, demain la colonisation de nouvelles planètes, l’asservissement de toutes formes d’intelligences non humaines !

Il faut que tu interviennes, que tu leur parles ; je t’en prie !

Dieu :
Hélas, je sais bien que tu as raison et que ton cœur pleure autant que le mien ; mais que puis-je faire ? N’ai-je pas donné à l'homme la liberté ? Ne lui ai-je pas parlé par la Torah, les évangiles, le Coran et bien d’autres livres saints ou profanes ?

Il est vrai que j’ai eu mes chouchous : Hénoch, Abraham, Moïse Elie, Jésus, Mohamet ; et j’en passe ! N’était-ce pas mon droit ? Pourquoi mes enfants cadets ne les ont-ils pas écoutés ?

Michel :
Beaucoup les ont écoutés, mais ne fais pas semblant d’ignorer que la totalité de tes messages d’amour ont été gauchis, travestis. Pour quatre-vingt-dix-neuf paroles d’amour et une de sévérité ils ont fait cinquante pour cent, et avec le temps la proportion s’est rétablie ; mais en faveur de la sévérité.

L'homme a tant souffert pour devenir comme toi à travers la création d’une société spirituelle qu’il ne croit plus ni en la force de l'amour ni en ton amour ; il ne croit qu’en la rationalité et dans les châtiments.
Ne feras-tu jamais rien pour que l'humanité entière t’entende objectivement dire : « mes enfants, je vous aime : riches comme pauvres, bien portants ou malades, saints ou assassins » ?

Dieu :
Je ne cesse de le dire à travers mes livres, mes serviteurs, à travers les consciences déchirées et obstruées par les chagrins et les rages. Bien peu entendent et sentent mon amour pour eux.
Pourtant je n’accéderai pas à ta légitime demande parce que j’ai appris par le veau d’or qu’ont fait les hébreux, qui ont vu mes miracles, que l'objectivité des preuves est sans valeur face à la liberté et à l'écoulement du temps. 

Michel :
Papa, devant ton obstination à ne rien faire, je vais utiliser le joker que tu m’as confié, t’en souviens-tu ?

Dieu :
Bien sûr, mais que vas-tu en faire ?

Michel :
Convoque la cour céleste,  fais en sorte que toutes les télévisions, radios, que le ciel lui-même retransmette ton procès.

Dieu :
Mon procès ! ! ! Tu déraisonnes ! Et pourtant pourquoi pas ; il y a bien longtemps que j’ai envie de me justifier devant la terre mais je ne pouvais violer le serment que je me suis fais à moi-même de ne plus agir objectivement aux yeux des hommes ! Tu m’y obliges, je t’en remercie.
Comment vois-tu mon procès ?

Michel :
Je présiderai le tribunal, tu te défendras, Satan lira l'acte d’accusation, fera citer les témoins et fera le réquisitoire final.

Satan :
J’en suis bien aise ; j’en ai assez de persécuter ces pauvres humains, de toujours les dénigrer alors que c’est toi le seul coupable du mal.

Michel :
Modère tes ardeurs Satan, les débats n’ont pas commencé.
N’oublie pas que sitôt le procès fini tu redeviendras le procureur de Dieu et le maudit de l'humanité.

Satan :
Quelle cruauté !

Dieu :
Allons au tribunal !

 

ACTE II

 

Satan :
La terre est-elle bien connectée au ciel ? Il faut que tous sachent la vérité afin que le péché disparaisse pour les justes et que les pécheurs m’idolâtrent.

Michel :
La terre n’a jamais été aussi bien connectée au ciel, et ne te fais aucune illusion, personne ne t’adorera lorsqu’ éclatera la vérité.

Satan :
On peut toujours rêver !

Michel :
Farceur ! Cesse de te mettre dans la peau du Satan chrétien veux-tu ? Dresse l'acte d’accusation.

Satan :
Je suis toujours brimé ! Mais bon, puisqu’il le faut, je redeviens sérieux !

Monsieur le Président, Messieurs les jurés, père !

Mon acte d’accusation se compose de deux parties :
la première traitera du cadre général de l'existence humaine, ou superstructures...

Marx :
Plagiaire !

Michel :
S’il vous plaît, un peu de dignité dans la salle !

Satan :
La seconde partie traitera de l’existence concrète, du « zoon politikon ».

Aristote :
Merci de me citer. L'expression avait un sens plus restreint. Elle voulait...

Michel :
Je vous en prie nous ne sommes pas en formation philosophique, l'enjeu est bien plus important.

Dieu :
C’est peu dire !

Michel :
Satan, évite de citer les personnes présentes, nous n’en finirions plus !

Satan :
Très bien !

Donc Dieu prétend avoir créé l'homme libre et parfait ; je démontrerai que c’est un mensonge et que ce mensonge en a entraîné un autre : le péché originel, et que celui-ci en a entraîné un plus grand encore :
la Rédemption par la souffrance de Jésus, celle-ci ayant provoqué l’exaltation inconsidérée de la douleur.

Dieu :
Objection ! Satan fait des rapprochements apparemment logiques mais qui ne le sont aucunement !

Jésus :
Il fallait que mon sacrifice ait lieu, on ne peut pas rendre papa responsable de sa mauvaise interprétation !

Ni les juifs ni les musulmans n’ont tiré ces conclusions.

Akkiba et Mohamed :
Nous l’attestons !

Michel :
Satan, prouveras-tu la causalité ?

Satan :
J’essayerai !

Michel :
Objection rejetée !

Satan :
Papa, tu as bien la prescience.

Dieu :
Effectivement, je connais à l'avance les réactions de chacun comme les réactions de la multitude.

Cependant je ne les dicte pas, je suis tel un joueur d’échecs qui voit toutes les possibilités du jeu et n’impose aucun coup.

Satan :
Tu as dis une chose très importante : tu es tel un joueur d’échecs ; c’est précisément ce que pense un certain Théophile, en bas, qui lutte,  souffre, vibre et est à la limite du blasphème.

Dieu :
Je le sais !

Satan :
La vie n’est pas une partie d’échecs ou de quoi que ce soit.

Tu as reconnu avoir la prescience ; en ce cas je t’accuse de non assistance à personne en danger ! Tu as vu toutes les horreurs que tes enfants allaient mutuellement se faire subir !

Dieu :
J’ai aussi vu tous les actes héroïques qui allaient se faire pour résister au mal...

Non, ne dis rien ; je sais que chaque mort, prématurée ou non, chaque trahison amoureuse ou amicale, chaque vol et viol cause une souffrance ineffable.

Je le sais et je ne fais pas la synthèse de tout le bien et le mal, je ne décrète pas que le bilan est globalement positif. Toute souffrance sera compensée car je suis un père qui aime ses enfants et depuis le choix d’Adam pas une minute ne passe sans que les larmes me montent aux yeux !

Satan :
Assez de belles paroles, assez de sentimentalisme ! Les hommes veulent être heureux sur terre et non attendre le monde à venir ! Es-tu sadique pour donner le malheur avant le bonheur ?

Dieu :
Objection ! C’est scandaleux !

Satan :
Dans la mesure où un seul humain peut se poser la question je plaide pour sa recevabilité ; or cette question est dans de nombreux esprits de façon informulée, d’une manière atténuée elle est dans «Ombres sur l'Hudson» de Basévitch Singer, et enfin dans l'esprit de Théophile.

Michel :
Objection rejetée !

Satan :
J’appelle à la barre mon premier témoin : Adam.

En effet mon but est de prouver qu’il n’était pas prêt pour s’opposer à moi et qu’il a été châtié hors de toute mesure.

Michel :
Adam, veux-tu venir ?

 

ACTE III

 

Satan :
Adam, si mes souvenirs sont justes tu es venu à l'existence à quarante ans. Quel était ton état d’esprit ?

Adam :
J’étais heureux de vivre, je voulais essayer toutes les possibilités que m’offrait mon corps ainsi que la nature. Lorsque papa m’a demandé de parachever son œuvre j’étais très fier !

Satan :
Tu fais allusion au don des noms, en quoi ce travail consistait ?

Adam :
Ce travail consistait à régler minutieusement la place de chaque instinct dans chaque animal et à lui donner le nom qui le définirait le mieux. On retrouve quelques traces de ce travail dans le « Critias » de Platon lorsqu’il se demande s’il y a une essence pour chaque mot.

Satan :
Avais-tu la science infuse ou Dieu t’inspirait-il ?Adam :
On ne peut pas raisonner ainsi : pour les grandes catégories Dieu me dictait les proportions et les noms mais j’étais libre pour les sous catégories.

Par exemple Dieu m’a dicté la catégorie « félin » mais j’étais libre d’écrire comme je l'imaginais « lion » ou « tigre ».

Satan :
En somme, tu étais en liberté surveillée !

Michel :
Papa, es-tu d’accord avec ce qu’a dit Adam ?

Dieu :
Pas du tout ! Mon fils Adam a eu beaucoup de mal à devenir autonome ; il avait toujours besoin de se sentir protégé, mais en réalité il a toujours été libre. Et il m’a rendu fier de lui.

Satan :
A quoi est dû ce sentiment ?

Michel :
A qui s’adresse ta question ?

Satan :
A Dieu, mais si Adam veut parler qu’il le fasse.

Dieu :
Adam a toujours été un rêveur, dès qu’il avait du temps libre il contemplait les idées éternelles, cela lui rappelait sa vie pré-corporelle dont il était nostalgique.

Je venais souvent le consoler et lui rappeler toutes les bénédictions qu’il retirerait d’une existence individuelle et corporelle ; et bien qu’il en convînt il était irrémédiablement attiré par le savoir absolu et ne rêvait que de fusion avec mon côté féminin. Un vrai hégélien avant l'heure !

Adam :
Reconnais papa que tu as toujours devancé mes désirs ; je ne t’avais rien demandé et tu m’as offert Eve ; tout ce dont j’avais envie, mon esprit, par ton consentement, le matérialisait. Comment aurais-je pu prendre au sérieux l'interdiction du fruit de l'arbre du bien et du mal ?

Dieu :
Tu t’es mépris mon fils, je n’ai pas suscité Eve pour te faire plaisir, du moins pas seulement, mais pour qu’elle te tire de tes rêveries ; pour qu’elle soit une aide contre toi-même.Satan :
Veux-tu dire qu’à cet instant Eve était la première tentative pour tirer Adam de sa méditation et que si elle avait réussi tu ne m’aurais pas demandé de le tenter ?

Dieu :
Oui, et le réveil de l'humanité aurait été infiniment moins douloureux !

Satan :
Un instant ! Il n’est question que d’Adam, non de l'humanité.

Avais-tu conscience d’être le représentant et le responsable de tes descendants ?

Adam :
Être le représentant et le responsable de mes descendants ?

Non, mais si je l'avais eue je ne pense pas que ça aurait modifié mes actions.Satan :
De nombreuses personnes croient en la justice de Dieu ; or nous avons l'aveu de Dieu lui-même qu’il est injuste puis qu’il est le premier à avoir établi le principe de la responsabilité collective.

Ce principe, dois-je le rappeler a été répudié par toutes les nations civilisées !

Mais revenons au problème de l'origine de l'histoire humaine. Adam, avais-tu la connaissance du bien et du mal avant de manger le fruit de l'arbre ?

Dieu :
Je me réserve de revenir sur la notion de culpabilité collective ; elle est mal comprise.

Satan :
Ben voyons ! Toujours cette manie de se décharger sur les humains lorsque ça t’arrange. Il faut dire que tes prêtres t’encouragent dans cette voie là !

Michel :
C’est noté ! Veux-tu répondre Adam ?

Adam :
En fait j’avais bien conscience de la différence entre le bien et le mal, mais celle-ci n’était pas contrastée, le mal résultait moins d’un antagonisme entre deux forces que d’une lente dérive des possibilités. En un mot, le choix n’était pas clair : c’était un choix entre le bien et le moins bien, toute dimension tragique était exclue.

Satan :
Pourquoi, Dieu, ne pouvais-tu pas te contenter de cette liberté protégée ?

Dieu :
Etant absolument libres et voulant faire des hommes des co-régents de l'univers, il fallait qu’ils sentent la lourdeur de la responsabilité grâce à l'infinie liberté. La grandeur et la noblesse de l'homme viennent de ce qu’il est radicalement libre.

Satan :
Et pour cela tu étais prêt à supporter les innombrables crimes, larmes ? Je ne suis pas certain que l'homme préfère sa liberté au bonheur !

Et je ne crois pas non plus que l'humain soit libre. Adam, savais-tu à quoi tu t’exposais concrètement et personnellement en désobéissant ?

Adam :
J’en avais une vague idée, mais rien de précis.Satan :
Si tu avais vu dans toute son horreur ce que tu allais subir ; le chagrin lié à l'assassinat d’Abel, la souffrance d’Eve en accouchant ; mais aussi si tu avais vu toutes les souffrances de l'humanité, aurais-tu désobéi ?

Adam :
Non ! Qui serait assez fou pour choisir en pleine connaissance de cause le mal plutôt que le bien.

Satan :
Puis-je conclure que tu n’étais pas absolument libre parce que tu n’avais pas vu toutes les implications de ton geste ?

Adam :
Oui.

Dieu :
Il fallait que tu désobéisses, et c’est pour ça que j’ai obstrué ton jugement. Cependant même si je ne l'avais pas fait tu aurais désobéi mais plus tard et en d’autres circonstances. Mais ayant grandi en sagesse, sa perversion aurait été infiniment plus grande et il n’y aurait même pas eu de Noé à sauver. Je le sais, j’ai fait cette expérience avec d’autres mondes et j’ai dû les détruire ; ma miséricorde aurait été inefficace pour la simple raison qu’il n’y avait personne pour l'implorer.

Satan :
Je vais prouver que ton argument n’est pas recevable parce que tu inspires les idées que tu veux à qui tu veux.

Adam, je te remercie ! J’appelle à la barre Abel et Caïn.

ACTE IV

 

Michel :
Voulez-vous avancer ?

Abel et Caïn :
Volontiers !

Satan :
Je crois que vous vous êtes réconciliés depuis le drame ?

Abel :
Tout à fait ! Caïn s’est excusé.

Caïn :
Abel a reconnu qu’il pouvait apparaître comme le préféré.

Satan :
L’apparence avait une grande importance ?

Abel :
Bien sûr, nous y vivions en permanence depuis la faute de papa.

Caïn :
J’y étais plus sensible qu’Abel parce qu’étant agriculteur je devais observer la nature et selon ses variations je savais que la récolte serait plus ou moins bonne. D’où ma confusion entre l'être et le paraître.

Abel :
L'apparence pour l'agriculteur a beaucoup plus de significations que pour le berger ; en effet un nuage n’est pas toujours porteur de pluie, je pouvais spéculer sur la nature des nuages comme sur l'intensité de la pluie et décider si je devais me mettre ou non à l'abri avec mes brebis et mes chèvres.

Caïn :
Je n’avais pas cette liberté-là ! Depuis la faute de papa j’étais comme enchaîné aux cycles de la nature, qui eux sont soumis à grand-père.

Satan :
Es-tu certain que cela aurait été différent sans la faute d’Adam ?

Caïn :
Absolument certain ! Au reste grand-père n’a-t-il pas maudit la nature ?

Satan :
Si ! Peut-être que papa veut nous expliquer les raisons de la malédiction de la matière privée de conscience, donc de tout rapport avec la moralité ?

Michel :
Il me semble que c’est le moment de nous expliquer le péché originel.

Dieu :
Il n’y a jamais eu de malédictions au sens de souhaits de mauvaises choses. Comment aurais-je pu maudire mes enfants que j’aime ! Cela aurait signifié que j’aurais maudit ma paternité, donc moi-même, est-ce concevable ?

Je n’ai fait qu’énoncer les conclusions inévitables que la nouvelle situation a créées, à savoir que plus aucun acte ne serait gratuit. Tout acte a une conséquence morale (bien, mal) ou physique (plaisir, déplaisir). La prise des consciences des antagonismes est, si l'on tient absolument au vocabulaire théologique, le péché et la malédiction.

Satan :
Eve et Adam, avez-vous compris cela ?

Michel :
Vous pouvez répondre de votre place !

Eve :
Pas du tout ! Sur le coup il nous est clairement apparu que papa était très fâché, et la réalisation de ce qu’il venait de dire nous a renforcé dans la conviction qu’il nous châtiait !Adam :
Ce n’est qu’après notre mort que nous avons compris que papa nous jouait la comédie de la colère, afin de rendre le scénario encore plus crédible.

Satan :
N’est-il pas vrai que si vous aviez eu cette explication, dès le début, votre conscience aurait été moins culpabilisée et que vous auriez eu un plus grand confort moral ?

Eve :
Bien sûr ! J’aurais été moins sévère dans l'éducation des enfants ; je voulais qu’ils soient irréprochables aux yeux de leur grand-père ; c’était une façon pour moi d’essayer de me racheter !

Satan :
Tu vois Dieu ce que tu as fait dans l'âme d’Eve, et à travers elle à ses fils ?

Abel et Caïn, dites-nous un peu comment s’est manifesté la sévérité de votre mère !

Dieu :
J’aimerais dire que la sévérité étant un mode d’existence de la conscience tragique, il était tout à fait normal que les sentiments s’expriment dès le commencement de l'histoire humaine afin qu’ils soient légitimés.

Adam, bien qu’il eut aussi fortement qu’Eve conscience de la tragédie, s’est tourné vers la clémence (ce qui m’a réjoui car l'heure viendra où le monde ne pourra être sauvé des déterminismes auxquels il s’est enchaîné que par cette vertu), mais il se sentait trop coupable pour s’octroyer le droit de juger et punir.

Caïn :
Alors que grand-père ne nous avait imposé que deux règles : le sabbat et le sacrifice des prémisses de tous nos travaux, maman nous a inventé des tas de règles mentales.

Abel :
Maman nous obligeait à nous souvenir avant chaque repas de toutes nos actions et de nous excuser les uns auprès des autres des torts que nous avions contractés. Elle nous disait souvent de ne pas écouter nos soeurs lorsqu’elles innovaient parce qu’elle avait mal innové en mangeant du fruit interdit. Il y avait aussi ces remerciements qu’on devait faire à grand-père avant chaque repas pour la nourriture.

Caïn :
Moi, je travaillais dur la terre, je n’avais ni le temps ni le courage de participer aux jeux d’Abel et de nos soeurs. Après les travaux des champs je lisais un traité d’agriculture ou d’astronomie écrit par papa, alors qu’Abel jouait avec les mots et les idées en compagnie de nos soeurs ; ainsi inventèrent-ils la poésie, la philosophie, et toutes ces fariboles. Nos parents étaient très fiers de ces jeux d’esprit qui, disaient-ils, honoraient grand-père en faisant fructifier l'esprit.

Il n’empêche que c’est grâce à mon travail que maman avait des légumes et du blé !

Eve :
C’est tout à fait exact ! J’ai eu tort de te donner l'impression d’être moins fière de toi que d’Abel et de vos soeurs.

Caïn :
Cette impression reposait sur des faits biens tangibles ; comme je n’avais pas grand chose à me faire excuser, tu me soupçonnais d’être orgueilleux, insensible aux péchés, lors des remerciements à grand-père je m’énervais parce qu’il n’avait fait que fixer les lois de la nature (en les aggravant après la faute de papa) alors que papa en chassant, et moi en labourant, avons fait le plus gros du travail ; et pour nous pas de remerciement !

Eve :
Dieu t’a donné la vie et t’a mis dans la fonction où tu étais, tu ne faisais que remplir ta tâche, si pénible soit-elle, pourquoi t’aurions-nous spécialement remercié ?

Marx :
On voit là clairement l'origine de la division du travail ainsi que la fondation de la morale sur un idéalisme travesti.

S’il est vrai que les oeuvres de l'esprit honorent Dieu, et qu’elles l'honorent d’autant plus que peu d’hommes peuvent en produire dans les conditions historiques existantes jusqu'à la venue de l'ère messianique ; il n’en est pas moins vrai que la mise en œuvre des lois physiques de transformation de la matière pour le plus grand bien de l'homme honorent également Dieu. Abel aurait-il eu un esprit si brillant s’il avait dû faire le travail de Caïn ?

Abel :
Oui !

Caïn :
Non !

Michel :
Ce sont des réponses typiquement idéologiques ! Ton plaidoyer, papa, n’a convaincu que ceux qui croyaient être libres.

Marx :
Je voudrais conclure en soulignant que Dieu n’a jamais interdit que l'on se remercie les uns les autres dans une prière.

Satan :
Objection à ce que vient de dire Marx ! Depuis quand défend-il Dieu, lui qui l'a si violemment combattu de son vivant ?

Michel :
Objection rejetée, chacun change d’avis lorsqu’il est convaincu par la vérité.

Satan :
Bien, je voudrais revenir à l'interrogatoire de Caïn : je voudrais savoir ce qui t’a poussé à tuer Abel. Mais d’abord dis-nous plus explicitement en quoi consistait la mise en garde que t’avait adressé Dieu peu de temps auparavant.

Caïn :
C’était l'automne, j’étais surchargé de travail avec les moissons, les outils à réparer, j’étais fatigué et irritable aussi grand-père l'a-t-il vu et m’a-t-il conseillé de me reposer et de méditer sur le sens de la vie et de l'effort. Et de conclure : « le péché est tapi à ta porte ».

Je n’étais pas d’un naturel méditatif comme Abel, j’aimais les choses concrètes, solides, personne ne m’aidait dans mes travaux. Lorsqu’arriva le jour du sacrifice j’avais beaucoup de retard dans mon travail, aussi ai-je pris deux ou trois gerbes de céréales par espèces, sans choisir les plus belles, ni les plus laides d’ailleurs, et je les ai brûlées.

Le feu n’était pas encore éteint que Dieu m’a parlé ainsi : « Caïn, qu’as-tu fait donc là ! Un sacrifice sans amour ni reconnaissance, un sacrifice purement légal ; j’aurais préféré que tu t’en abstiennes et que tu attendes que ton cœur te pousse à un vrai sacrifice ».

Au reste qu’avais-tu besoin de sacrifice, ne savions-nous pas que tout t’appartient ?

Dieu :
Vous le saviez, bien sûr ! Mais le sacrifice, qui n’en était pas un car il ne vous privait de rien, avait pour but de vous ouvrir à l'étranger, au radicalement autre.

A ton époque, vous formiez une petite famille très unie, vous vous connaissiez tous et vous pouviez me parler comme maintenant (et un jour arrivera où tout humain vivant pourra le faire), mais je savais qu’un jour mes enfants se compteraient par milliards et qu’ils se disperseraient non seulement à travers toute la terre, mais aussi sur plusieurs globes ; jusqu'à en perdre le sentiment d’appartenir à la même famille.

Si la liberté humaine n’avait pas fait obstacle à mon projet, aujourd’hui encore les humains dans leur écrasante majorité continueraient à me sacrifier des objets concrets ; et les humains se seraient dit entre eux : « nous sacrifions à un Dieu que nous ne voyons ni n’entendons plus depuis bien longtemps, comment ne sacrifierions-nous pas à l’étranger ou au nécessiteux que nous voyons ? »

Satan :
Caïn, peux-tu reprendre ton récit ?

Caïn :
Grand-père avait donc récusé mon sacrifice et j’avais le sentiment d’une injustice car l’effort que je faisais pour accomplir ce rite était plus grand, et donc plus méritoire que celui d’Abel.

Dieu :
C’est certain !

Caïn :
Or à peine me suis-je remis au travail que je vois Abel venir sur mon champ avec son troupeau pour le faire paître dans la prairie d’à côté. Je lui demande s’il veut bien m’aider à réparer quelques outils durant sa garde...Abel :
Et là je te dis que j’avais prévu de tondre mes bêtes, et que de toute façon tu y arriverais très bien tout seul, et même mieux que moi parce que tu avais plus l’habitude que moi.

Caïn :
La coupe était pleine ! C’était trop de contrariétés en un jour. J’ai saisi la première pierre que j’ai trouvé près de moi et j’ai frappé de toutes mes forces Abel, et plus je le frappais fort, plus vite ma colère s’en allait.

Mais je n’ai jamais voulu le faire mourir !

Abel :
Je le sais !

Satan :
Dieu, tu as vu toute la scène ? Le récit est-il exact ?

Dieu :
J’ai effectivement tout vu, et le récit n’est en rien tronqué.

Satan :
Tu aurais pu à plusieurs reprises intervenir pour que ce drame n’arrive pas. Tu aurais pu par exemple expliquer l’importance du sacrifice comme tu l'as fait à l'instant,  tu aurais pu avoir un mot d’encouragement pour Caïn en disant que bien que son sacrifice ne soit pas parfait, tu sais ce qu’il lui en a coûté, ainsi que tu l'as reconnu à l'instant. Tu aurais pu inspirer à Abel une réponse positive à la requête de Caïn. Tu aurais enfin, en dernier recours, pu faire disparaître toutes les pierres du périmètre où se tenaient les deux frères.

Or tu n’as exploité aucune de ces possibilités, pourquoi ? Voulais-tu un meurtre à tout prix ? Voulais-tu que Caïn soit précisément le meurtrier d’Abel ?

Bref, dans ce drame l’accusation de non assistance à personne en danger est flagrante !

Dieu :
Je vais essayer de te répondre clairement. Je savais que dans le monde tel qu’il serait après la désobéissance il allait y avoir des péchés, et de tous les péchés, le meurtre est le plus horrible.

Je n’avais que deux solutions : faire en sorte que le meurtre soit commis à la première génération ou attendre qu’il vienne naturellement au cours de l'évolution humaine (ça n’aurait pris qu’une ou deux générations). De toute façon les chances pour que l'humanité échappe à ce fléau étaient d’une sur cent milliards, autant dire nulles ! Si j’avais attendu le déroulement normal des choses, l'humanité se serait agrandie, il y aurait eu plusieurs procréateurs et de ce fait il n’y aurait plus eu une histoire de l'origine commune. En plus du racisme dû à la couleur de la peau, à la position sociale, il y aurait eu un racisme dû à l'ancêtre, les hommes auraient tenu soigneusement leurs généalogies et n’auraient pas eu la moindre indulgence pour les descendants de l'assassin.

La miséricorde connue sous les termes de circonstances atténuantes et de droit de grâce aurait été encore plus rare.

Satan :
Pour ce qu’elle se manifeste !

Dieu :
Si l'accusé avait été un descendant du criminel il aurait été bien de débarrasser la terre d’un criminel naturel, et s’il n’était pas descendu du criminel, il aurait été un transfuge du camp du bien. Dans les deux cas la rigueur aurait été extrême.

Satan :
Admettons !

Dieu :
Tu me reproches de ne pas avoir eu un mot d’encouragement pour Caïn mais il n’était plus à mes côtés, sous le règne de l'amour, il était sur terre, sous le règne de la loi, et la loi n’a pas à encourager, la loi sanctionne bêtement ! Or je devais habituer l'humanité à travers Caïn à l'obéissance inconditionnelle à la loi.

Satan :
Je hais la loi dans toutes ses formes. Si tu n’avais pas doté l'homme de la liberté il n’y aurais jamais eu de loi parce qu’il n’aurait fait que des choses permises, des choses plus ou moins bien.

Au reste la loi ne prend pas en compte l'attitude intérieure, seulement l'apparence extérieure.

Dieu :
Satan, Satan ! Tu me fatigues, tu es tellement obstiné ! En viendras-tu à contester mes dix lois au nom de l'absolu que nous voyons tous les deux. N’est-ce pas de sentiment qu’il est question lorsque j’ordonne d’aimer son prochain comme moi-même, ou d’honorer ses parents ?

Ne court-circuite pas le processus de divinisation.

Satan :
Je suis tel que tu m’as fait !

Michel : 
Satan, laisse Dieu finir ses explications.

Dieu :
Si je n’ai pas inspiré à Abel la réponse que tu me suggérais il y cinq minutes c’est pour respecter en lui cette liberté qui te déplaît tant. Il faut que l'homme apprenne à être vraiment et librement bon !

Quant à ôter les pierres ou toutes autres armes de l'environnement de Caïn, cela aurait été inutile car il était dans un tel état qu'il aurait tué à mains nues.

N’ai-je pas raison ?

Caïn :
Si !

Satan :
Il n’empêche que lorsque cela t’arrange, tu violes allègrement le principe de non ingérence dans la liberté humaine.

C’est ce que je vais démontrer en appelant à la barre Abraham et Jared.

 

ACTE V

 

Michel :
Abel et Caïn, la cour vous remercie.

Abraham et Jared, veuillez venir. Jared, peu d’humains te connaissent, peux-tu te présenter brièvement ?

Jared :
Mon histoire est inscrite dans le livre d’Ether qui fait partie du livre de Mormon. J’ai vécu du temps de l'érection et de la destruction de la tour de Babel. Je ne voulais pas y participer et avec ceux qui m’entouraient et partageaient mes convictions, je suis parti en Amérique fonder une nation qui obéirait aux principes divins.

Satan :
Jared, peux-tu nous décrire les principes sur lesquels étaient basés la société humaine ainsi que les motifs pour lesquels les hommes voulaient construire la fameuse tour ?

Jared :
Nous formions une société extrêmement soudée sous la direction du troisième descendant de Nimerod, roi fondateur de notre cité.En ce temps-là, la quasi totalité des humains habitait en son sein, tout était organisé pour qu’aucun membre de la cité ne soit dans le besoin si peu que ce soit. Nous avions instauré la gratuité des aliments de base. Chaque nouveau couple recevait gratuitement une maison, deux chaises, une table, armoire, de la vaisselle, bref tout ce qu’il faut pour commencer une vie sans souci.

Le revers de la médaille, c’est que les humains qui n’avaient pas choisi de se soumettre à Nimerode ou à ses descendants et voulaient vivre hors de la cité n’avaient droit à aucune solidarité lors des années de disette ou de sécheresse, si un des babéliens en rencontrait lors de sa promenade dans la campagne, il devait tuer le nomade ou le ramener à Babel ; là le nomade avait le choix entre s’aliéner à l'harmonie sociale universelle ou être torturé jusqu'à ce que mort s’en suive sur les places publiques (les babéliens adoraient ces spectacles et il n’était pas rare de voir de simples citoyens torturer les captifs par simple jeu) .

Il faut dire que l'harmonie sociale avait un prix pour la population babélienne : les travaux intellectuels, artistiques, ainsi que la spiritualité étaient sous un étroit contrôle du pouvoir royal. La critique politique était strictement interdite en public, les doléances devaient êtres soumises au roi, dans une attitude d’humilité absolue. Sur le sujet artistique aucune innovation importante n’était tolérée ; ceci dans la perspective d’étouffer dans l’œuf toute éclosion de personnalité trop marquée. Au niveau religieux le monothéisme était strict, mais tous les attributs de miséricorde et d’amour de Dieu avaient été abolis ; le roi nous disait : « vous êtes les esclaves de Dieu, et je suis le premier d’entre vous » tant avait été forte l'impression faite par le déluge qui datait de moins de deux siècles. La liberté individuelle était des plus restreintes, et la créativité n’était encouragée que pour les tortures parce que c’était une preuve de civisme de maintenir le plus longtemps les personnes en vie tout en leur infligeant les plus terribles souffrances pour les punir d’être libres et par là d’introduire le désordre et la possibilité du péché.

L'érection de la tour répondait à un double objectif : être plus à l'aise pour prévoir la météorologie et pour voir plus loin dans la campagne les hommes libres afin de les exterminer plus rapidement.

Ces deux mesures sans lien apparent en avaient pourtant un : la construction d’une société totalitaire, close sur elle-même, prévoyant jusqu’au temps, afin de prévoir les activités des citoyens pour les empêcher de penser, donc de pécher.

Marx :
Hélas, cette civilisation ressemble à l'union soviétique et à toutes celles qui se sont inspirées de mes écrits !

Pourtant, tu le sais Dieu, je n’ai pas voulu attenter à la liberté humaine. Une fatalité ou une malédiction pèsent-elles sur les idéaux communistes ?

Dieu :
Ni l'un ni l'autre, seulement les communistes n’ont pas encore trouvé le bon dosage entre la nécessaire et inconditionnelle solidarité pour la prise en charge des besoins vitaux de l'homme, et la non moins nécessaire liberté morale, intellectuelle et spirituelle humaine.

Satan :
Je crois rêver ! Il est évident que je rêve ! Marx, pour qui tout dans le monde n’était que matériel, condamne une fois mort les principes fondamentaux de sa philosophie politique au nom d’une idée bourgeoise : la liberté.

Mais il faut savoir ce que l'on veut en politique, faire cesser les maux économiques, quitte à sacrifier la liberté, ou adorer la liberté et s’accommoder des injustices économiques; il est significatif que les étudiants chinois aient érigé en 1989 une « déesse de la liberté » tant était grand leur aveuglement politique et l'infection idéologique qu’avaient réussi à exporter les démocraties occidentales.

Dis-moi Vladimir Oulianov Lénine, pensais-tu être un bon marxiste ?

Lénine :
Oui ! J’ai toujours cru que les écrits de Marx sur la liberté n’étaient pas consubstantiels à sa pensée et qu’ils étaient des armes circonstancielles destinées à combattre le pouvoir bourgeois.

Parce qu’en définitive, cette fameuse liberté n’est que le socle de toutes les indisciplines et incivilités. La liberté est, somme toute, l'ennemie de toute politique rationnelle.

Satan :
Et maintenant Dieu, explique-nous au nom de quoi tu as détruit cette société ?

Dieu :
La raison est toujours la même : la liberté.

Certes la société babélienne frôlait la perfection, mais comme l'a dit Jared le prix en était la perte de la liberté dans tous les domaines sauf dans celui du mal. En outre les tortures infligées aux derniers hommes libres m’étaient insupportables. ...

Lénine :
Combien étaient-ils tes protégés ; quelques centaines, tout au plus quelques milliers ? Cela ne compte pas au regard des centaines de milliers qui vivaient dans l'absence de problèmes économiques. Ta maudite liberté aurait été octroyée avec précaution dans une société matériellement parfaite. Mais non, tu as tout détruit comme un enfant capricieux qui donne un grand coup de pied dans la fourmilière pour la désorganiser et voir comment elle se recomposera !

Hé bien regarde l'état de la fourmilière, il y a trois ou quatre milliards d’exploités totaux et un milliard d’exploiteurs, qui eux-mêmes se divisent en exploités exploiteurs ! Et toi tu détruis une société presque idéale au nom de la liberté !

Tu es un doctrinaire de la liberté, un maniaque !

Michel :
Lénine, respecte Dieu !

Dieu :
Lénine, Lénine, calme-toi. Tu vas comprendre : je sais qu’aujourd’hui énormément d’humains souffrent et souvent meurent de la mauvaise organisation économique, et crois-moi je souffre avec eux.

Lénine :
Ils t’en remercient ! Ah ça vraiment, ça leur fait une belle jambe !

Dieu :
Mais du moins ont-ils des sentiments et en sont-ils riches.

Du temps de Babel, il n’y avait ni amour ni haine ; on se mariait pour satisfaire aux besoins sexuels selon ses goûts esthétiques, on divorçait si on ne tirait pas suffisamment de plaisir l'un de l'autre. La gratitude envers autrui et envers moi était inconnue puisque tous ce qu’ils avaient leur était dû par l'Etat babélien. Les relations sociales étaient à leur plus bas niveau par crainte de la police politique (en fait elle se limitait aux séances de tortures collectives, qui relevaient de la catharsis). Les oeuvres de l'esprit étaient d’une banalité affligeante !

Aujourd’hui les humains peuvent donner et remercier, aimer et haïr, en faire des oeuvres littéraires ou philosophiques. La vie est bien plus dense et significative qu’aux temps babéliens.

Je vais te faire une confidence mon cher Vladimir, s’il n’y avait pas eu ces quelques hommes libres j’aurais admis m’être trompé, à savoir que la liberté n’est pas indéfectiblement attachée aux coeurs des hommes et j’aurais laissé se développer l'expérience babélienne jusqu'à son terme.

Lénine :
Ah oui vraiment, je te remercie d’avoir mis dans le coeur de mon frère les sentiments, et spécialement la haine de l'injustice et de l’oppression, et je te remercie d’avoir mis dans le cœur du Tsar la haine de la révolution, ce qui l'a conduit à refuser sa grâce à mon frère.

Dieu :
Tu ne refuses pas les sentiments mais le mauvais usage que l'homme peut en faire. Dans ce cas la haine était justifiée mais mal employée. Ton frère aurait dû méditer cette phrase que j’ai inspiré dans mon premier livre : « fais le bien et éloignes-toi du mal ».

Le cœur de l'homme n’appartient qu’à l'homme ; il y a peu de temps que je me suis dessaisi du droit de l'influencer objectivement.

Lénine :
C’est injuste et immoral !Satan :
Je suis tout à fait d’accord avec toi, on ne change pas de règle de jeu en pleine partie.

Et pour montrer l'aspect catastrophique du silence objectif de Dieu, parce qu’il continue à parler (comme en cachette) aux consciences, je vais maintenant interroger Abraham.ACTE VISatan :
Ton père, Tharé, était un homme libre ? Quel âge avais-tu lorsque les langues ont été confondues ?

Abraham :
Oui, papa était un des derniers hommes libres. Je devais avoir sept, huit ans lors de la confusion des langues et de la chute de la tour.

Je me souviens encore de la crainte que nous avions lorsque papa s’éloignait trop de notre maison ou qu’il devait aller à Babel prendre les choses qui nous étaient utiles lorsque Jared et ses partisans occupaient les postes clés : gardes des portes, emplois de magasiniers dans les magasins d’Etat, nous ne risquions pas d’être dénoncés comme rebelles à l'harmonie sociale et nous obtenions tout ce que nous voulions parce contrairement à ce qui se passait en Union Soviétique il y avait l’abondance. Parfois un des hommes libres se trompait dans les roulements des postes et il était aussitôt arrêté et torturé. D’après papa peu d’hommes abjuraient la liberté, et une si infime minorité le faisait réellement ; beaucoup s’échappaient à la première occasion venue. Mais s’ils étaient repris, ils portaient sur le front de manière indélébile le symbole du yin et du yang, ils étaient torturés avec une science encore plus grande, et étaient maintenus vivants une semaine entière, tant était grande la haine de la liberté et du désordre !

Satan :
Peux-tu nous dire quelles étaient les croyances religieuses de Tharé avant et après Babel ?

Abraham :
Selon le témoignage de mes frères et soeurs aînés papa n’était pas très religieux selon les critères babéliens : il ne croyait pas à l'enfer ni à la justice divine, il était plutôt agnostique et poète.

Satan :
Que vient faire la poésie là dedans ?

Abraham :
Pour papa Dieu était surtout dans les idées et dans leur réalisation : ainsi la beauté et un beau coucher de soleil (lorsqu’il en voyait un il disait : « Ce soir Dieu est avec nous ») ainsi la bonté dans sa réalisation hospitalière. Il aimait jouer avec les mots ; il disait souvent que les mots n’étaient pas seulement des outils descriptifs mais qu’ils avaient une force inhérente qui les dépassaient et ouvraient des voies vers des mondes inconnus.

S’il avait vécu à Babel il aurait été soit interné pour folie, soit emprisonné comme subversif. Là-bas les mots étaient strictement définis dans de gros dictionnaires que chaque enfant devait apprendre par cœur et le moindre lapsus était puni du fouet ou du cachot !

Satan :
J’aimerais comprendre... Comment un homme à l'esprit aussi fin, aussi raffiné, a pu tomber dans l'idolâtrie la plus grossière ?

Abraham :
De tout temps les poètes se sont exprimés par métaphores, ainsi sous leurs plumes la terre devient « notre mère la terre » etc. Papa a toujours eu une mauvaise mémoire, et au lieu de se faire des pense-bêtes normaux il les faisait en vers, comme par exemple pour aller chercher du bois il se répétait : « il faut que je décoiffe les cheveux de ma maîtresse ». Les cheveux étant les arbres et broussailles et la forêt la maîtresse.

Malheureusement en vieillissant papa perdait la raison et prenait de plus en plus les formules poétiques pour la réalité elle-même.

Papa ayant eu des enfants jusqu'à cent trente ans (et s’étant toujours bien comporté envers eux) ces enfants prenaient au sérieux et au pied de la lettre les formules poétiques ; ainsi adorèrent-ils la « déesse Mère » et « l'Esprit de la Forêt », son mari, pourvoyeur en gibier.

J’essayais d’empêcher la dérive mais étant habitués, ils ne voulaient rien entendre et disaient que j’étais impie envers papa.

Satan :
Si ma mémoire est bonne, tu n’as pas défendu dans ta jeunesse de toutes tes forces intellectuelles l'idée monothéiste, tu as préféré la paix du foyer au combat des idées pour la vérité.

Abraham :
C’est vrai, pourtant Dieu m’est témoin que les propos de mes frères et soeurs m’irritaient profondément.

Satan :
Dieu, justement, tu étais mis gravement en cause quand à ton unité, tu savais ce qu’il allait en résulter pour certains cultes idolâtres, je veux parler des sacrifices humains et plus précisément d’enfants. C’est d’ailleurs à cause de cette abomination suprême que tu as chassé les Cananéens devant Israël (curieusement tu es devenu moins sensible devant cette autre forme de sacrifice d’enfants que sont les enfants soldats).

Pourquoi donc n’es-tu pas intervenu pour soutenir Abraham lorsqu’il défendait ton unité ?

Michel :
Satan, il est hors de question d’utiliser la rhétorique dans ce tribunal, tu sais très bien que les sentiments de papa sont restés les mêmes qu’au début de la création !

Dieu :
Personne, pas même moi, ne peut imposer de l'extérieur une idée ; il faut que l'homme la renifle, la triture, l'examine dans tous les sens pour qu’elle fasse partie de son être intime, de sa psychologie.

Par deux fois j’ai essayé la solution à laquelle tu te réfères : la première au mont Sinaï, la seconde avec Jésus ; cela s’est soldé par des demis échecs, ou succès comme tu voudras.

Au Sinaï je voulais, après la malheureuse tentative d’Akhenaton en Egypte, rétablir pour tout un peuple la vérité monothéiste, je n’ai pas lésiné sur les moyens en leur imposant six cent treize commandements afin que leur esprit soit constamment tourné vers moi ; malheureusement ça ne les a pas empêchés d’adorer des idoles sur les hauts lieux. Mais aujourd’hui c’est le peuple le plus intraitable qui soit sur le monothéisme.

Avec Jésus j’ai voulu réintroduire l'idée de ma paternité universelle et donc de la fraternité non moins universelle entre les hommes. Qu’avais-je à faire de la justice et du pardon des péchés ? Ai-je besoin d’un médiateur qui me serine à longueur de temps « pardonne-lui, pardonne-leur si tu m’aimes un peu » ; ce serait réellement lassant et usant ! Du reste je n’ai pas créé les humains pour les juger et les punir mais pour les aimer. La justice n’a de sens que sur terre !

Jésus :
Je me suis donné assez de mal pour composer le « notre Père » qui reprend succinctement ces idées. Pas une fois il n’est question de pardon par mon sacrifice ! Cette idée a été introduite par Paul et par le credo que je n’ai ni écrit ni inspiré.

Paul :
J’ai cru bien faire pour fixer définitivement l'attention sur toi, la paternité et la fraternité n’auraient pas suffi, plusieurs écoles philosophiques avaient déjà plus ou moins pris le créneau. Du reste, pour les hommes de ce temps ces idées étaient trop abstraites et ne leur apportaient aucun réconfort.

Par contre le pardon du péché était un thème très porteur, depuis le culte de Mithra et la philosophie de Cicéron, la conscience individuelle et plus particulièrement la conscience individuelle tragique émergeait. On se demandait pourquoi Dieu voudrait pardonner aux hommes et malheureusement la raison contenue dans le « notre père » ne paraissait pas suffisante aux yeux d’hommes rudes et rustres.

Seule, à leurs yeux une épreuve extrêmement cruelle pouvait leur valoir le pardon total de Dieu, mais bien peu avaient le courage de s’en infliger une, ils auraient bien aimé déléguer quelqu’un pour subir cette épreuve purificatrice. Le supplice de la croix était en son temps le plus insoutenable et Jésus avait la hauteur morale requise.

Bien peu comprirent que ton véritable message était le rétablissement du lien familial vertical, qui ennoblit l'homme, comme du lien horizontal, qui les rend égaux. Seuls quelques mystiques l'ont subodoré, et selon leur sensibilité ils ont accentué un des aspects alors qu’ils sont étroitement solidaires.

Je dois tout de même signaler que la figure du « serviteur souffrant » chez Isaïe se prêtait admirablement à ma prédication.

Mais de toute façon je n’ai compris ton véritable message qu’une fois rentré à la maison !

Satan :
Comme c’est touchant ! Que l'on me permette de poursuivre l'interrogatoire d’Abraham parce qu’il a de nombreux comptes à rendre aux hommes !

Michel :
Je t’en prie !

Satan :
Merci !ACTE VIISatan :
Donc Abraham, tu n’as pas eu besoin d’une révélation divine quant à l'unité de Dieu ; mais je suppose que tu en as eu une en ce qui concerne ta mise en marche vers la terre promise. Peux-tu nous dire de quelle nature elle était ?

Abraham :
En ce qui concerne l'unité de Dieu je crois effectivement que n’importe quel homme doué de la faculté d’abstraction pouvait arriver à cette conclusion. Il suffisait d’observer que l'homme a plusieurs qualités simultanément ou alternativement pour juger combien il est ridicule d’enfermer un dieu ou une déesse dans une fonction (dieu de la chasse, déesse de la fertilité, etc). De même il suffisait d’observer la cohésion du monde pour comprendre qu’elle n’aurait jamais été possible s’il y avait eu plusieurs créateurs. Or si un dieu est assez puissant pour créer l'univers et tout ce qu’il contient, qu’avons-nous à faire avec les dieux subalternes qui dépendent de lui ? Autant avoir affaire au Dieu suprême ! Malheureusement aucun de mes frères ou soeurs n’a pu faire ce raisonnement ; il faudra attendre Léa et Rachel pour relever l'honneur de ma famille paternelle.

Dieu m’a poussé hors de chez moi par l'envie, ou plus exactement par le besoin de rompre avec le conformisme et la médiocrité.

Satan :
Tu veux dire que tu n’as pas entendu une voix objectivement audible ?

J’aimerais que tu décrives les différentes façons dont tu as cru que Dieu te parlait.

Abraham :
Je n’ai pas cru, Dieu m’a bel et bien parlé.

Satan :
Si tu veux !

Dieu :
Je parle à tous ceux qui, délibérant en eux-mêmes croient sincèrement m’entendre et font tout ce que leur conscience leur prescrit.

Satan :
Je t’interrogerai tout à l'heure sur les moyens que tu emploies pour rentrer en communication avec l'homme.

En attendant, Abraham, veux-tu bien répondre ?

Abraham :
Eh bien, ainsi que je l'ai dit il y avait l'intime conviction, mais aussi les rêves, nocturnes comme éveillés, les hallucinations auditives.

Lorsque Dieu m’a donné Israël j’ai ressenti une certitude intérieure, le pays était trop beau pour que Dieu ne me le destine pas.

Lorsque j’ai demandé grâce pour Sodome et Gomorrhe c’était un dialogue intérieur, et pour le sacrifice d’Isaac c’était une hallucination auditive que moi seul entendais.

Satan :
Dieu, emploies-tu d’autres moyens pour communiquer avec les hommes, et comment les emploies-tu ?

Dieu :
Oui, j’emploie des moyens que je peux définir comme laïcs : j’inspire des idées, raisonnements, actes. Les hommes me répondent en exécutant leurs intuitions, ainsi le plus athée des hommes fait sans le savoir ma volonté. Ils me répondent en écrivant des livres où ils exposent leur amour, doute, révolte et espoir.

Je peux agir directement sur l'esprit de l'homme parce que leur esprit est de même nature que le mien ; pour être encore plus exact j’ai mis mon esprit dans chaque corps humain tout comme je l'ai fait avec Adam en lui soufflant dans les narines. Leurs personnalités ne diffèrent de la mienne que par les déterminations psychologiques que je leur donne lors de la descente sur terre.

Satan :
Tu viens de faire un aveu de taille : tu manipules l'humanité entière par des moyens que je pourrais qualifier de subliminaux.

Dieu :
Pas du tout ! L'homme est réellement libre, d’une part parce que j’ai annihilé en lui, le temps de son séjour terrestre, les souvenirs relatifs à sa divinité (Platon l'a bien illustré par le « mythe d’Er » dans la « république »), d’autre part parce que l'homme manipule librement ses déterminations et invente toutes les combinaisons possibles et imaginables ; et en troisième lieu je n’interviens que très peu dans la vie humaine.

Il faut que l'homme exerce pleinement sa liberté à son niveau afin de ressentir une petite partie de ma responsabilité que j’ai envers les mondes que j’ai créés et qu’il créera lorsqu’il accédera à la divinité plénière.

Même lorsque je permets des situations insoutenables, je ne les veux en aucun cas.

Satan :
Oh ne soit pas aussi hypocrite que Leibniz dans sa « Théodicée » ! Si quelqu’un ne veut absolument pas qu’une chose arrive, il prend toutes les précautions requises pour que cela n’advienne pas. S’il ne le fait pas c’est qu’il souhaitait inconsciemment que cela se produise. Or tu n’as pas d’inconscient puisque tu te connais parfaitement, donc tout ce que tu veux, tu le veux en pleine connaissance de cause.

Que dirais-tu d’une mère qui laisse son enfant de trois ans jouer avec un fil électrique branché ? Elle ne veut pas qu’il s’électrocute, mais elle ne fait rien pour l’empêcher.

Leibniz :
Je n’étais pas hypocrite ! Je voulais seulement épargner à Dieu la honte du mal que se font mutuellement les hommes.

Si j’avais pris une telle liberté intellectuelle que celle que tu prends, j’aurais été, à n’en pas douter, au mieux excommunié, au pire brûlé.

Spinoza :
C’est certain !

Dieu :
Satan, tu raisonnes en faisant abstraction de tout l'aspect éducatif du mal.

Satan :
Des parents qui fouetteraient leurs enfants pour n’importe quelle transgression, sans leur parler de vive voix (parce qu’en définitive c’est à cela que reviennent les sermons religieux comme laïcs ainsi que les sanctions judiciaires) en leur montrant seulement des listes de règlements, ceci quel que soit leur âge, seraient-ils de bons parents, tu appelles ça une éducation ?

Je voudrais revenir à Abraham. Abraham, lorsque tu avais le sentiment que Dieu te demandait de faire quelque chose, te sentais-tu capable de lui résister ?

Abraham :
Comment résister au maître du monde ?

Satan :
Pourtant tu lui as tenu tête en essayant de sauver Sodome, au fait pourquoi t’es-tu arrêté à dix justes ?

Abraham :
Dieu m’avait fait part de sa volonté de détruire Sodome or je savais que Dieu était miséricordieux mais qu’il voulait qu’on lui demande d’exercer la miséricorde. J’avais l'intuition très nette qu’en me faisant part de son intention il me demandait d’intercéder pour Sodome.

Pourquoi me suis-je arrêté à dix ? Il y avait dix divisions territoriales à Sodome, cela aurait fait un juste par division. Si on anthropologise Dieu, il a dix doigts, chaque doigt peut reposer sur un juste pour le bénir, il n’y a plus de doigt libre pour détruire quoique ce soit. La dernière raison est qu’il y a un quorum de dix hommes pour qu’une assemblée de prière tienne légalement aux yeux de Dieu.

Satan :
Tu aurais sacrifié neuf justes pour une histoire de divisions, de doigts et de quorum.

Abraham :
Ce n’est pas moi qui fais les lois.

Dieu :
Ce sont des traditions humaines avec lesquelles je n’ai rien à voir !

Satan :
Ah, elle est belle votre philosophie de la liberté ! Abraham a une « intuition » de la volonté de Dieu mais n’ose aller au bout de sa logique au nom des lois, cette logique aurait été de demander la grâce même pour un seul juste (car il ne faut pas oublier que, non seulement l'homme est à l'image de Dieu, mais l'esprit de l'homme et celui de Dieu est le même ; alors, ou bien Dieu est l'être le plus important des mondes et par conséquent la vie de l'homme l'est aussi, ou bien la vie de l'homme est sans importance autre que celle de ses actes, mais alors Dieu redevient une valeur parmi d’autres : l'argent, la gloire, etc.) . Il faut choisir : ou bien la liberté totale ou bien le respect des lois !

Et Dieu qui reconnaît inspirer les hommes mais qui rejette sur l'homme les traditions perverses qu’il s’est données. Dans quel monde on est ?

Abraham, j’ai encore un problème avec toi : tu as cru que Dieu t’a demandé de sacrifier Isaac.

Abraham :
Je n’ai rien cru, il me l'a réellement demandé par voix orale.

Satan :
Y avait-il quelqu’un avec toi pour l'attester ?

Abraham :
Non mais cela n’a aucune importance parce que tu aurais évoqué la possibilité d’une hallucination auditive collective.

Satan :
C’est vrai. Mais le problème est autre. Crois-tu que la foi soit la plus précieuse chose que l'homme possède ?

Abraham :
Oui je le pense !

Satan :
Lorsque Dieu ordonne quelque chose il n’y a qu’à obéir sans chercher à comprendre ni à l’atténuer ?

Abraham :
Je vois tout à fait où tu veux en venir. Tu veux me faire dire que la foi exclut la raison et inversement, mais ce n’est pas vrai.

La raison doit examiner la conformité des intuitions ou raisonnements en identifiant l'ordre reçu avec d’une part les ordres précédents, pour voir s’ ils n’entrent pas en contradiction, et d’autre part avec la nature de Dieu, parce que d’un dieu bon il ne peut venir que des ordres visant le bien-être de l'homme.

Satan :
J’approuve tout à fait les principes que tu viens d’énumérer, le problème est que tu ne les as pas appliqués lorsque Dieu t’a demandé de lui sacrifier Isaac. Pensais-tu que la vie ne valait pas d’être vécue et qu’il valait mieux pour lui d’accéder à la vie éternelle ?

Abraham :
Tu te trompes Satan, j’ai strictement appliqué mes principes. Je me souvenais de la promesse de Dieu selon laquelle toutes les nations seraient bénies en mon nom, et que ma descendance serait aussi nombreuse que les étoiles du ciel ; aussi me suis-je dit que l'ordre était trop paradoxal pour qu’il n’y ait pas anguille sous roche.

Je pensais soit que Dieu allait ressusciter Isaac, pour montrer son infinie puissance, soit qu’il se raviserait au dernier moment pour montrer sa miséricorde.

Satan :
J’admire ta logique paradoxale ; ah oui vraiment c’est une logique à deux sous. D’une part tu obéis à Dieu en lui prêtant d’autres motifs que ceux clairement exprimés, à savoir recevoir Isaac en sacrifice en gage de ta foi, d’autre part tu obéis en espérant ne pas avoir à aller au bout de ta démarche. Drôle d’obéissance que voilà. Les hommes apprécieront la qualité de ta foi !

Mais dis-moi, n’as-tu jamais pensé que les bénédictions seraient distribuées par Ismaël que tu as honteusement chassé de chez toi avec Agar pour complaire à la jalousie de Sarah ? Tu savais qu’Agar continuait à t’aimer. Dans ce contexte le sacrifice d’Isaac aurait pu être un légitime châtiment ; et rien n’aurait dû te persuader que tu n’aurais pas dû aller au bout de ton acte.

Agar :
Oui, depuis que Sarah, ma maîtresse, m’a offerte à Abraham, et jusqu'à ce qu’il m’ait chassée, je l'ai toujours ardemment aimé, nous ne prenions peut-être plus autant de plaisir l'un avec l'autre qu’aux premiers temps mais j’aimais être en sa présence. Lorsqu’il m’a renvoyée à cause de l'ingratitude de Sarah je l'ai détesté de toute mon âme, et j’aurais aimé lui faire le plus de mal possible, mais ma fierté m’en a empêché (j’ai malheureusement transmis ma haine à Ismaël qui l'a instillé à ses fils). Abraham est le modèle de toutes les trahisons, de toutes les lâchetés amoureuses au nom d’une vie plus confortable. Et je sais qu’en disant cela je suis la porte-parole de tous les trahis, et spécialement de Théophile.

Sarah :
C’est vrai que nous avons été trop durs avec toi, mais il faut dire que tu devenais de plus en plus rebelle, insolente à mon égard. Tu essayais toujours de nous monter, Abraham et moi l'un contre l'autre : la situation devenait réellement intolérable et nous n’avons pas vu d’autre solution que de nous priver de tes services.Satan :
Dis-moi Abraham, pourquoi toi, un homme de Dieu, donc théoriquement d’amour, n’as-tu pas affranchi Agar pour en faire ta seconde épouse de plein droit ?

Abraham :
Je voudrais revenir à ta première question parce que la seconde en découle.

Je savais que les bénédictions ne pouvaient pas venir d’Ismaël parce qu’il n’était mon fils qu’illégitime. Réfléchis un peu : pourquoi Dieu m’aurait-il donné Isaac s’il avait voulu que les bénédictions passent par Ismaël ?

J’ai bien pensé à épouser Agar, mais j’ai raisonné ainsi : si je l'épouse je crée deux branches légitimes par lesquelles aurait pu naître Israël, en tant que peuple bien sûr, deux Israël c’est naturellement un de trop ! De plus, Dieu m’avait révélé qu’une partie de ceux qui allaient recevoir mes bénédictions allait prétendre être le « nouvel Israël » et qu’une autre partie allait lui contester le droit à sa terre.

Il n’était donc pas utile de mettre en place deux légitimités.Agar :
Regardez-moi ça ! L’homme dans toute sa splendeur ! Il ne pense, il ne parle que de lui ! Ça ne lui est jamais venu à l'esprit que Dieu n’avait donné un bébé à Sarah que pour lui faire plaisir ; l'homme ne connaît pas la gratuité du geste, il soupçonne toujours et partout des arrière-pensées, du donnant-donnant, il s’inscrit toujours dans une logique politique, jamais dans une logique d’amour.

Sarah :
Ça, c’est bien vrai, Abraham était un fanatique de la bonne action, lorsqu’il a vu au loin Melchisédech il a flairé ce qu’il pouvait en retirer sur le plan spirituel, parce que ce que ne dit pas le livre, c’est que Melchisédech était né durant la dernière année de vie de Noé, il était donc très vieux lorsqu’il s’est arrêté chez nous, et ce que ne dit toujours pas le livre, c’est que la bénédiction d’une personne âgée a plus de valeur que celle d’un jeune parce qu’elle a plus longtemps souffert et que si elle a résisté au mal, elle est plus proche de Dieu et peut plus facilement l’engager.

Il n’a même pas protesté lorsque Dieu a demandé le sacrifice d’Isaac ; tout autre père aurait proposé sa vie contre celle de son fils, lui, rien !

Abraham :
Non mais pour qui tu veux me faire passer Sarah ? En réalité  tu ne m’as jamais pardonné mon geste envers Isaac, tu veux me faire passer pour l'ancêtre des fanatiques !

Satan :
Tu reconnais donc que ton attitude était plus qu’équivoque ?

Abraham :
Non ! J’en appelle à Dieu !

Michel :
Papa, peux-tu éclairer le tribunal !

Dieu :
Celui qui croit en moi a la vie éternelle parce que personne ne peut le déstabiliser psychologiquement, il trouvera toujours une bonne raison pour faire en mon nom ce qu’il a fait.

Tu as raison Satan, rien ne ressemble plus au fanatisme que la foi ; pourtant Abraham a agi non par fanatisme mais par la foi parce qu’il adorait Isaac et qu’il était prêt à me le sacrifier. L'authentique foi n’impose rien à autrui en mon nom, ce qu’elle s’impose en mon nom, elle se l'impose par amour de moi, comme ne pas voler, tuer, etc.

Satan :
j’ai une dernière question pour Abraham : les théologiens chrétiens ont prétendu que le sacrifice d’Isaac préfigurait celui de Jésus ; avais-tu conscience d’accomplir un acte prophétique ?

Abraham :
Pas du tout ! Les Cananéens sacrifiaient leurs premiers-nés par le feu à Moloch, et ils aimaient leurs premiers-nés comme n’importe quel autre peuple, rien, absolument rien n’autorisait les théologiens chrétiens à ajouter une dimension supplémentaire à mon acte.

Il y a bien d’autres passages dans le premier livre qui pouvaient s’appliquer à Jésus, et de façon bien plus frappante.

Satan :
Merci Abraham ! 

Un problème très intéressant vient d’être soulevé : celui de l’utilisation des textes prophétiques, ou non, dans la fondation d’une nouvelle religion : c’est pourquoi j’appelle à la barre Jésus et Mahomet.

Michel :
Veuillez venir !ACTE VIIISatan :
Vous avez cru devoir ou pouvoir utiliser les textes anciens pour fonder vos nouvelles religions ; n’aviez-vous pas suffisamment confiance en vous pour fonder vos religions à partir de rien d’autre que de votre subjectivité ?

Jésus :
Le fondateur d’une religion ne peut pas faire l'économie de l'histoire de la conscience religieuse propre au peuple dans lequel il naît.

Mahomet :
Qu’il doive l'accomplir ou lutter contre sa propre religion, elle laisse des traces indélébiles étrangères à la pensée du fondateur. Il doit en outre tenir compte des influences étrangères à sa propre religion.

Jésus :
Ce que dit Mahomet est très important. J’avais conçu à l'origine mon enseignement comme un enseignement visant à la libération de l'homme des contraintes rituelles ainsi que de la conscience malheureuse du péché ; ce n’est pas en vain qu’on m’a traité d’ami des publicains et que j’ai pardonné à la femme adultère !

Malheureusement j’ai dû faire des concessions à la conscience culpabilisatrice des hommes en laissant entendre que j’étais le seul moyen d’être pardonné, ce que Paul a outrageusement exploité !

Mahomet :
J’avais les coudées un peu plus franches puisque mon peuple n’était assujetti à aucun livre saint ; mais je dois reconnaître que l'histoire du christianisme m’a beaucoup influencé.

Ainsi ai-je renoncé à la belle idée selon laquelle Dieu est le père de tous les hommes parce que les chrétiens ont érigé des saints qui ne sont rien d’autre que des sous-dieux exaltés en raison d’une vertu particulière posée à son extrême. Or il est évident que la filiation divine rendait implicitement possible ce dérapage, et comme mon peuple sortait tout juste du polythéisme, il n’était pas utile que je le tente !

Satan :
Vous vous êtes servis tous les deux de textes de vos devanciers qui n’avaient rien à voir avec vous : toi Jésus tu t’es servi d’un texte qui annonçait un prophète plus grand que Moïse, et toi Mahomet tu prétendais être le paraclet prophétisé par Jésus.

En aviez-vous le droit ?

Jésus :
En fait il y a deux façons d’écrire l'histoire ou, c’est la même chose, de faire la volonté de papa : soit on attend qu’elle se réalise, soit on essaye de la faire venir. Aucun homme, s’il est sensé, ne veut être prophète ou messie, pourtant les textes sont là avec leurs parts de lumière et d’ombre. C’est à l'homme d’adapter la fonction à l'homme.

Mais le meilleur moyen d’être un bon prophète, c’est de ne pas se prendre pour tel ; regarde-moi, Satan, je n’ai pas voulu fonder une religion, je voulais seulement être un bon rabbi, comme Hillel, et papa en a décidé autrement ! Regarde Hertzel, il ne voulait être qu’un journaliste et un chef sioniste ; et il est devenu prophète, même s’il n’en a pas le titre.

Mahomet :
Je ne suis pas d’accord, chaque texte prophétique est écrit par Dieu pour un homme bien précis, il peut arriver qu’il soit de moindre qualité que ce que Dieu aurait voulu qu’il soit en le créant, mais en ce cas Dieu a tous les moyens pour le contraindre à être à la hauteur de ses exigences. Il n’est qu’à voir ce qu’a fait Dieu pour contraindre Jonas à aller à Ninive, ou comment il a puni David pour avoir provoqué la mort d’Uri le mari de Betsébaa.

De toute façon la vie de l'homme est écrite dans le livre divin, il n’y peut rien changer.

Jésus :
Je ne suis pas d’accord avec toi, tu le sais bien, et papa a donné son point de vue au début du procès ; nous sommes ici pour parler de la prophétie.

Satan :
Justement, selon vous à quoi sert-elle, et n’est-elle pas un obstacle à la soi-disant liberté humaine ?

Jésus :
La prophétie est avant tout la parole de Dieu s’exprimant par la subjectivité humaine ; elle peut tout aussi bien donner un conseil, un ordre, que prédire l'avenir.

Elle ne limite pas la liberté humaine parce qu’elle n’est que conditionnelle puisqu’elle dit en substance : « Voici ce que Dieu désire, voici ce que vous aurez en lui obéissant, et en lui désobéissant ».

Mahomet :
Allons allons ! Tu sais bien que ce n’est pas tout à fait exact ! Quelle liberté a l'homme face au Tout-puissant ? En réalité il n’en a strictement aucune. L'alternative de Jonas était d’aller à Ninive ou de rester dans le poisson, tu appelles ça la liberté ?

Jésus :
Oui,  il avait un choix !

Mahomet :
Hum ! Plutôt réduit ! Et David a-t-il pu faire fléchir Dieu pour qu’il laisse vivre l'enfant, fruit de son péché avec Betséba ? Non ! Pourtant que n’a-t-il pas jeûné, prié, supplié ? Rien à faire ! Et en quoi cet enfant était coupable ? Il l'était certainement moins que le moins coupable des Ninivites. Je vais devancer ton objection : la liberté des Ninivites à se convertir : en réalité il n’y en avait pas ; ils étaient prédestinés à se convertir pour illustrer l'universalité du pouvoir divin sur le cœur de l'homme.

De tout cela je conclus au caractère impératif de la prophétie.

Jonas :
Je suis tout à fait d’accord avec Mahomet.

Jésus :
Et la prière d’Hannah implorant Dieu d’avoir un enfant, qu’en fais-tu ?

Mahomet :
Elle n’a été exaucée que parce que de toute façon Dieu avait préalablement décidé qu’elle aurait Samuel.

Crois-tu que l'histoire d’Israël aurait été la même sans ce prophète ? Non ! Tu ne peux me citer aucun miracle dû à une prière d’un quidam dont le résultat n’est pas resté dans l'ombre la plus épaisse.

Jésus :
Ton image de Dieu est désespérante !

Mahomet :
Elle a du moins l’avantage de n’entretenir aucune illusion dans les miracles.

Satan :
Mahomet, si tu as cru cela pourquoi donc as-tu vécu ?

Mahomet :
Je n’ai pas toujours cru ce que je viens d’énoncer. En bas, l'illusion d’être libre est si grande que bien peu peuvent s’en défaire, pris qu’ils sont dans une multitude d’alternatives.

Pourquoi vivre ? Je ne le sais pas. Quelles que soient les réponses qu’on adopte, elles sont insatisfaisantes.

Au début, lorsque je me croyais libre, j’avais des réponses successives : d’abord c’était pour l'amour de Khadîdja, ensuite pour aider Dieu à vaincre ses ennemis et pour soumettre tout homme à sa volonté. Puis lorsque j’ai compris que tout homme est strictement assujetti à Dieu, j’ai compris que ma vie n’avait d’autre but que d’expliciter la volonté de Dieu sur terre, ma vie comme celle de n’importe quel homme. Ce n’est pas en vain que j’ai choisi pour les croyants de ma religion le titre de musulman, qui signifie soumis.

Jésus :
Ta vision de Dieu est profondément attristante, et je sais que papa en est cruellement blessé, parce qu’elle exclut toute relation d’amour et de confiance et qu’elle instaure une relation hiérarchique.

Je sais pourtant qu’il y a parmi tes gens des personnes qui aiment profondément leur père, tout comme il y a parmi mes gens, et parmi les juifs, des personnes qui se reconnaissent dans les propos que tu viens de tenir, et j’en suis extrêmement attristé.

Satan :
Et toi Jésus, pourquoi as-tu vécu ?

Jésus :
J’ai vécu, ainsi que je l'ai dit dans le « notre père » pour faire la volonté de Dieu en toutes choses et en tous lieux.

Or la volonté de Dieu est de nous aimer qui que nous soyons, et que nous nous aimions inconditionnellement les uns les autres.

Mahomet :
Et allez donc, jouez violon ! Parce que tu crois que l'histoire du monde est une histoire d’amour ? Avons-nous ordonné à nos gens de massacrer ceux qui n’ont pas la religion dans laquelle ils naissent ? Evidemment non, ni toi ni moi ne leur avons donné cet ordre impie ! Pourtant ils n’ont rien eu de plus urgent à faire que de le mettre à exécution !

Non, crois-moi, le rôle de la religion est de maintenir une discipline de fer parmi les hommes afin de leur permettre de réaliser le bien en eux et malgré eux sur terre.

Jésus :
L'intention est certes louable mais la méthode est non seulement exécrable mais contre productive.

La discipline, bien que nécessaire ne peut être imposée de but en blanc, il vient toujours un moment, où si le but n’est pas assez valorisé, l'homme se révolte.

En outre la discipline doit faire une place à la clémence et au repentir, et ceux-ci doivent pouvoir être abordés en pleine possession du corps.

Mais la charia coupe la main du voleur, la langue du menteur ; quant à la lapidation, je n’en parle même pas !

Dans ces conditions, le repentir est naturellement amoindri dans ses manifestations concrètes ; et la justice est atteinte dans sa possibilité de faire grâce puisqu’elle ne peut pas rendre les organes tranchés.

Mahomet :
Tu as raison, mais tiens compte de ceci : en premier lieu peu de délinquants se repentent sincèrement une fois le châtiment subi.

En second lieu les châtiments corporels évitent la détention dans laquelle les criminels apprennent les uns des autres les meilleures techniques du crime. De plus, le temps passé en prison aigrit les caractères bien plus qu’une amputation méritée.

Enfin ce n’est pas à la justice de faire grâce, ni même à la religion, mais à Dieu seul !

Jésus :
Je ne suis absolument pas d’accord...

Satan :
Et comme Dieu reste toujours silencieux !

Messieurs vos positions, aussi respectables soient-elles, jettent un voile d’obscurité sur la fonction et l'essence de la religion. Pour vous départager je ferai comparaître mon dernier témoin avant le réquisitoire, je crois qu’il vous agréera à tous deux : j’appelle à la barre Marie.

Michel :
Marie veux-tu approcher ? ACTE IXSatan :
Marie, tu ne fais pas l'unanimité chez les chrétiens : beaucoup de catholiques font de toi la quatrième personne de la trinité, à l'inverse les protestants te réduisent à n’être que la « mère porteuse » de Jésus.

Dans le même temps catholiques, orthodoxes et musulmans font des pèlerinages communs autour de certains de tes sanctuaires.

D’où cette double question : qui es-tu vraiment et comment expliques-tu que tu rassembles au delà des frontières du christianisme ?

Marie :
Il y a deux mille ans que j’ai répondu à ta question : je ne suis que la servante du Seigneur.

Ceci dit j’ai choisi de le servir uniquement par le moyen de l'amour, d’où mon acceptation inconditionnelle de porter un nazir d’un nouveau genre.

Si l'amour peut avoir un commencement passif, il a nécessairement un prolongement actif parce son essence est transformatrice. L'amour forme le bébé dans le ventre, éduque l'enfant, console et rassure l'adolescent et l'homme.L'humanité dans son ensemble ressent inconsciemment un besoin vital d’amour et de tendresse mais dans la multiplicité des caractères humains certains y sont moins sensibles que d’autres. Ainsi ceux qui mettent consciemment ou inconsciemment au premier plan l'amour ont tendance à me diviniser alors que ceux qui placent l'action efficace ne me voient, comme tu l'as dit, seulement comme une « mère porteuse ».

Satan :
On peut noter que dans aucune partie du second livre de Dieu tu ne t’es mise en colère ; n’as-tu ressenti ni tristesse, ni haine, ou quelque sentiment que ce soit ?

Marie :
Beaucoup de choses m’ont crucifiée dans ma chair lorsque j’étais en bas, et ces choses me font d’autant plus mal que leur nombre va en augmentant. Mais même si j’étais spontanément en colère contre les malfaiteurs, à quoi cela aurait servi ?

La colère appelle la haine, celle-ci appelle la justice qui n’est qu’une vengeance déguisée et validée par l'entourage. La sanction que prononce l’entourage par la justice, loin d’encourager la réforme de l’asocial ne fait que le conforter dans son opiniâtreté ; c’est pourquoi je suis contre la colère et la justice.

Mais je suis ainsi faite que ma colère se métamorphose en chagrin et en pitié pour la victime comme pour le criminel ; non que je les mette sur le même plan, le chagrin et la pitié sont de natures différentes.

Satan :
Explique-nous en quoi le criminel est justifiable du chagrin et de la pitié,  qu’il ne comprend pas que son comportement est autodestructeur et qu’en faisant du mal aux autres, il s’en fait à lui-même comme par un effet de boomerang. D’après toi, la justice, la sanction seraient inutiles, voir nuisibles ?

Marie :
Je le crois profondément ! Il n’est pas besoin de châtier pour faire prendre conscience du mal qui a été fait.

Il est plus judicieux de jouer sur l'empathie, la sympathie du délinquant, voire de les susciter s’ils sont absents. Parce que vois-tu, la violence n’a jamais fait qu’un méchant change ; et s’il change ce ne sera que superficiellement pour être libéré.

Satan :
Il faut pourtant bien l'empêcher de nuire !

Marie :
Bien sûr, et aujourd’hui l'homme a inventé les bracelets électroniques qui permettent d’incarcérer les délinquants chez eux, ce qui est beaucoup plus humain parce que cela évite la promiscuité et permet la persistance des liens affectifs qui sont capitaux dans la restauration de la divinité enfuie.

Satan :
Dis-moi Marie, je te trouve bien proche des criminels, ou plus exactement des prisonniers, peux-tu nous dire comment ça se fait ?

Marie :
Paul a écrit, avec son exagération coutumière, que le monde gît au pouvoir du mal, or le mal n’est rien d’autre que l'absence de l'amour qui est l'expression la plus haute du bien.

Or dans les prisons l'amour est absent, on peut même comparer les prisons à des monastères, ou des académies de la haine.

Là-bas il n’y a pas besoin de cacheroute (1) ni de prière, ce qui unit et désunit les hommes ce sont la haine et la force. Seule la pratique des anti mitsvot (2) compte ; c’est l'anti-religion par excellence !

 

 

(1) cacheroute : ensemble de lois alimentaires codifiées dans le talmud (volumes commentant la bible).
(2)mitsvot : pluriel de misvah : bonnes actions religieuses, le terme s’étend au profane.Satan :
Peux-tu nous dire ce qu’est pour toi la religion : Mahomet nous disait que la religion est une discipline pour contraindre l'homme à atteindre le bien ; Jésus nous a dit que c’est aimer Dieu notre père et faire sa volonté ; et toi qu’en dis-tu ?

Marie :
La religion, la vraie, est avant tout humble, elle ne se gargarise pas de formules théologiques, ni n’impose à coup d’inquisition, de djihad ou de cacheroute. La volonté de Dieu...c’est encore moins des rites, baptême, circoncision ou jeûne.

Non, la vraie religion est l'attention portée à autrui, le respect de la parole donnée, l'apprentissage de la patience, et crois-moi c’est dur !

C’est éventuellement la méditation sur la mort et sur Dieu, mais c’est surtout voir en chaque humain un enfant de Dieu, y compris dans l’assassin, et le traiter comme tel.

Satan :
Tu n’imposes aucune discipline, aucune pratique cultuelle ? Elles ne sont certes pas l'essence de la religion, et Mahomet exagère peut-être en prétendant qu’une discipline de fer peut amener l'homme à réaliser malgré lui le bien, mais des règles peuvent être d’utiles béquilles ?

Marie :
Chaque fois qu’une loi, règle, ou tout autre chose de ce genre est édictée, il y a corrélativement désir de la violer, toute l'histoire de l'humanité en témoigne assez abondamment.

En un sens Paul a raison : la loi amène le péché, mais pas seulement la loi juive, la loi en tant que telle ; celle qui est imposée autoritairement, sans motivations complètes et claires.

Satan :
Qu’entends-tu par motivations complètes et claires ?

Marie :
Regardes la première loi édictée par Dieu : « si vous mangez du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal vous mourrez ». Mais où est le lien logique entre l'interdiction et la punition ? On dirait qu’elle n’est qu’un caprice divin. Et tu as habilement exploité ce manque d’explication !

Permets que je finisse mon développement sur la loi.

Satan :
je t’en prie !

Marie :
Vois-tu, depuis qu’Athènes a inventé la démocratie, on a décrété que la soumission de tous à la même loi était un progrès de la civilisation, en fait on a endurci le cœur de l'homme et obstrué la raison. On en a fait un troupeau, ce n’est pas de moi mais de Platon, sans personnalité.

Il y a certes eu de tout temps des lois, lorsque la tyrannie, au sens antique du terme, prédominait, ou la monarchie, la loi n’était pas à ce point déifiée ; le tyran ou le monarque pouvait violer la loi si les motivations du délinquant étaient honorables et aller jusqu'à l'acquittement du coupable.

La première loi d’après le déluge fut répressive et injuste ; certes le délit était grave, mais fallait-il pour autant faire de Cham et de sa descendance les esclaves de leurs frères ? Les sudistes ont sauté sur ce passage pour justifier l'esclavage des noirs.

Lorsque l'amour et le pardon ont déserté une société, la loi vient alors interdire et obliger ; et plus une société perd l'amour, plus elle édicte de lois et de règlements.

La seule loi légitime est celle qu’on se donne à soi-même pour s’aider à réaliser le bien, parce que si on viole une loi qu’on s’est donnée à soi-même on se viole, on change sa subjectivité et en définitive on se rabaisse à ses propres yeux

Je conclurai cette réflexion par deux noms, à première vue paradoxaux : Jésus et Bakounine !

Satan :
Le paradoxe est effectivement saisissant et illustre bien ton propos. Qu’en pensez-vous ?

Jésus :
Michel Bakounine m’a renié, c’est un fait, mais il l'a fait pour assurer la liberté et la dignité de l'homme ; pour combattre l’obscurantisme et les superstitions d’un clergé avide de pouvoir et d’honneurs. Sans le savoir ni le vouloir il faisait ma volonté, aussi ne l'ai-je jamais renié devant Dieu et les hommes.

Ma mère a parfaitement compris l'essence de mon message, mais elle fait preuve d’une cohérence et d’un radicalisme extrême qui a fait dire à Maurras : heureusement que l'église est là pour tempérer l'anarchisme du prophétisme juif !

Bakounine :
Je ne pensais pas être récupéré par Marie et Jésus mais il est vrai que vu sous cet angle, la religion me convient mieux.

J’aimerais poser deux questions : de quelle religion, Marie, es-tu la plus proche, et s’il y a une finalité à l'univers, si l'homme est absolument libre, et si Dieu s’interdit radicalement de s’immiscer dans les affaires humaines, comment est-on assuré que le bien l'emportera ?

Question subsidiaire : faut-il attendre, ou espérer un messie ?

Marie :
La religion parfaite n’existe pas, elles ont toutes des avantages et des inconvénients ; aussi suis-je juive avec les juifs, qui faut-il le rappeler, sont mon peuple d’origine ; mais je suis également chrétienne avec les chrétiens, ce qui est normal puisque j’ai porté celui qui a apporté aux Gentils la rationalité religieuse ; et enfin je suis musulmane avec les musulmans parce qu’ils considèrent mon fils comme un prophète.

Vois-tu Michel, la vraie religiosité n’est pas encore instaurée sur l'ensemble de la terre parce qu’elle est trans-religieuse. Seule la religion bannie a véritablement touché du doigt cette vérité fondamentale.

Je comprends ton angoisse au sujet de la victoire finale du bien sur le mal si l'homme est réellement libre et si Dieu s’abstient réellement d’intervenir dans les affaires humaines.

Dieu a mis dans l'humanité un verrou de sécurité : l'orientation vers le bien ainsi que le désignait Thomas D’Aquin ; ce verrou peut avoir plusieurs grosseurs, mais l’essentiel est qu’il  existe. Chaque humain veut son bien comme celui de ceux qui lui sont proches ; pour ce faire il doit agir et sélectionner parmi les moyens de l'atteindre ceux qui ne présentent aucun inconvénient pour son entourage et même qui lui fasse du bien. Jusqu'à présent la proportion de ceux qui réussissent ou ratent est presque à égalité mais lorsque ceux qui réussiront atteindront les soixante pour cent, alors viendra le messie pour inaugurer l'ère de paix et de bonheur.

Bakounine :
Alors c’est du pipeau cette histoire de liberté puisqu’il y a ce fameux verrou de sûreté ?

Dieu :
C’est tout de même curieux cette quasi unanimité de l’humanité à refuser ce fabuleux cadeau de la liberté !

Satan :
C’est seulement maintenant que tu te rends compte que l'homme préfère la sécurité d’une domination bienfaisante à la grandeur solitaire de la liberté !

Monsieur le Président, Messieurs les jurés, je suis prêt à requérir contre Dieu, mais auparavant je voudrais faire deux suggestions en ce qui concerne le jugement.

Michel :
Nous t’écoutons !

Satan :
Puisque la terre a suivi ce procès, je propose que ses habitants puissent participer au vote du verdict.

Michel :
Y a-t-il une objection ? Non ? Accepté !

Satan :
Je propose qu’il y ait trois possibilités de vote : Dieu est : intégralement responsable du malheur des hommes, pour moitié, ou innocent.

Michel :
Y a-t-il une objection ? Non ? Accepté !ACTE XMichel :
Satan, tu as la parole.

Satan :
Merci Monsieur le Président.

Mesdames et Messieurs les jurés, mon objectif est de faire reconnaître la responsabilité intégrale de Dieu dans vos malheurs.

Mon réquisitoire suivra deux axes : le premier est la nocivité du pseudo cadeau de la liberté ainsi que l'impossibilité de l'assumer en pleine connaissance de cause. La seconde sera de démontrer que l'amour de Dieu pour les hommes est un faux amour. J’appuierai particulièrement sur ce point parce que les trois livres qu’il a fait écrire en parlent abondamment, mais que l'humanité en manque cruellement ; or n’a-t-il pas fait écrire dans son premier livre : je mettrai des cœurs de chair à la place de vos coeurs de pierre ?

La racine de tout le mal que l'humanité connaît depuis l'origine réside dans le libre-arbitre que Dieu a implanté et imposé en chaque être. Non content de le lui imposer, il l'aveugle en ce sens qu’il ne permet à l'homme de prévoir toutes les implications de ses actes.

Mesdames et Messieurs les jurés que voulez-vous vraiment : voulez-vous être libres ou être heureux ? Telle est la question fondamentale, vous ne pouvez être les deux en même temps, et je suis sûr que la majorité d’entre vous préfère le bonheur à la liberté !

Qu’apporte la liberté ? Le meurtre, le vol, le viol, l'infidélité amicale et amoureuse ! En un mot la liberté apporte le chagrin ;  ne préféreriez-vous pas être muni d’un système en vous-même vous empêchant de faire les mauvais choix ? Je suis sûr que si !

Dieu vous dira que le bonheur sans la liberté est indigne de vous ; mais je vous le demande : y a-t-il une dignité dans le fait de se demander si on va mal se conduire ? Y en a-t-il lorsque tout compte fait on décide que le simple calcul égoïste n’est pas rentable ? En vérité il n’y en a aucune !

Dieu vous fait croire qu’il s’intéresse à vous, dans tous ses livres saints il vous dit ; « si vous voulez me dire, ou me demander quelque chose priez et je vous répondrai ». Eh bien c’est une fumisterie, pour ne pas employer le terme de mensonge ! J’ai quelquefois au cours de ce procès fait référence à un certain Théophile, cet homme n’est pas une fiction, il existe bel et bien. Il a prié de toute son âme pour deux choses qui lui paraissaient très importantes : la rencontre de l'âme sœur et la guérison de la petite Laury Nagros. Dieu, ce Dieu que l'on dit compatissant, aimant, miséricordieux, et cetera, n’a rien fait ; depuis lors il n’a plus jamais prié avec ferveur, il ne croit plus en la vertu de la prière, et pense que ce n’est qu’un placebo psychologique. Ce cas illustre toute une catégorie de personnes dont le penchant naturel est d’être religieux mais dont le silence de Dieu, pour des motifs idéologiques liés à la liberté, les a profondément meurtris ; ce qui fait qu’ils ne voient Dieu que comme un autocrate capricieux, ou comme une proposition philosophique.

Il peut certes apparaître contradictoire de reprocher à Dieu d’avoir donné la liberté et de le traiter d’autocrate capricieux ; mais son autocratie n’est que négative, il ne fait qu’imposer les trahisons de toutes sortes, vous l'avez bien vu avec Agar et Abraham comme dans le dossier Théophile. De combien de divorces, de trahisons amoureuses Dieu n’est-il pas responsable et coupable ? N’a-t-il pas reconnu lors du procès inspirer les hommes ? En réalité, par son inaction pour des motifs d’ordre idéologique liés au respect du libre-arbitre, il est responsable de tous ces drames amoureux qui laissent des cicatrices à l'âme presque indélébiles.

Or les trois livres saints nous disent qu’il est un Dieu d’amour. Mesdames et Messieurs, je vous le demande, où voyez-vous dans la vie du monde l'amour de Dieu ? Quand a-t-il déjoué les prévisions de catastrophes telluriques ? Quand a-t-il fait qu’une coulée de lave rentre dans le volcan au lieu de détruire des villages ?

Dans le second livre, Jean écrit : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils ; sous-entendu en sacrifice pour les péchés de l'homme. Cette phrase est profondément révoltante, mortifère et culpabilisatrice. Du reste nous avons entendu Jésus la répudier implicitement.

L'amour de Dieu culpabilisateur et assassin ? Certes s’il faut en croire la seconde branche de la famille abrahamique puisque l'homme est si criminel qu’il ne peut être excusé que par la mort d’un être pur de toute faute, et non par des moyens civilisés. Est-ce là de l'amour ? Si cette doctrine cruelle autant qu’inhumaine avait été vraie, l'amour aurait été du côté de Jésus mais certainement pas du côté de Dieu !

Et comment a-t-il rectifié cette doctrine impie ? Il a suscité la troisième branche de la famille abrahamique, l’islam. Au lieu de prendre le meilleur des deux premières branches, plus la non violence bouddhique, il a fait que l'islam se propage par le fer et le feu. Franchement Mesdames et Messieurs, je vous le demande, est-ce là les façons d’agir d’un être d’amour ?

En conclusion de ce réquisitoire je voudrais souligner un fait et poser une question. Le fait est que dans le couple Dieu humanité, Dieu est tout-puissant : il est donc nécessairement coupable sans aucune circonstance atténuante. Quant à ma question, la voici : Dieu, es-tu au-dessus de la morale que tu as énoncée dans tes livres ou t’y soumets-tu ?

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les jurés, je vous remercie !ACTE XIMichel :
La parole est à la défense !

Dieu :
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les jurés, tout ce que je pourrais dire après un réquisitoire d’une telle qualité, violence et sincérité va paraître fade, sec, dénué de sentiment et de compassion. Pourtant il faut que je défende ma politique, mon projet à long terme pour l'humanité et pour chacun de ses membres. Tout ce que je dirai sera vrai, mais je ne dirai pas toute la vérité, non pas parce qu’elle serait honteuse ou désespérante mais parce que la compréhension de l'âme, qu’elle soit sur terre ou dans l'un des trois royaumes que j’ai fait décrire dans le quatrième livre (livre de Mormon), est bornée et ne pourra comprendre et vivre la vérité qu’au terme d’une évolution s’étendant sur des billions de trillions d’années. Ceci dit, j’admets tout à fait que pour des raisons psychologiques certaines personnes ne croient pas à mes explications et s’en tiennent aux explications placebos qu’elles se sont forgées pour se consoler et se rassurer.Le point fondamental de ma politique est que l'homme est irrémédiablement libre. Cette liberté lui fait peur pour plusieurs raisons. La première est qu’il n’y a pas de verrou de sécurité ; non l'homme n’est pas orienté vers son propre bien, il peut vouloir dans son état actuel son propre mal et celui de son entourage.

Le mal n’est pas réductible à une approche sociologique ou psychologique ; il a une existence et une réalité par lui-même et sa séduction réside dans un affrontement frontal et inconditionnel et violent avec moi. Son expression la plus visible est dans les destructions ou l’enlaidissement de tout ce qui est beau et noble. Il refuse son statut d’être assujetti et désire être autosuffisant, ainsi que d’assujettir autrui à sa volonté propre. Depuis le déluge il n’y a eu que très peu d’hommes ayant cette attitude, et ceux qui ont eu le plus de pouvoirs ont tous vécu au vingtième siècle : ce sont : Staline, Hitler et Pol Pot. En ce moment ils recommencent une lente et très douloureuse ascension vers le bien, qui n’est ni une punition, ni une vengeance de ma part ou des victimes, mais une conséquence inéluctable de leurs pensées et actions.La seconde raison pour laquelle la liberté fait peur est que l'homme ne peut pas rejeter sur autrui sa faute mais doit l'assumer seul devant sa conscience, la société et moi-même. Ceci est une lourde, très lourde épreuve, et si elle est subie dignement, il n’y a pas de suite lorsqu’il vient à moi, parce que contrairement à ce que beaucoup pensent ou craignent je ne suis pas sadique.

Il est temps maintenant que je fasse comprendre la grandeur et la bienfaisance de la liberté absolue de l'homme.

J’ai créé l'homme à mon image, non seulement d’un point de vue ontologique, car l'esprit de l'homme et le mien sont de même essence, substance, comme l'on voudra, mais aussi parce que j’ai, pour reprendre la formule de Sartre, condamné l'homme à être libre. Cette formule est certes impropre, du moins a-t-elle le mérite de laisser entendre qu’il n’a aucune échappatoire à la liberté. En réalité je n’ai pas condamné l'homme en lui accordant la liberté, bien au contraire, je l'ai honoré de ma confiance. J’aurais pu prédéterminer chaque homme à une fonction ainsi que je l'ai fait pour les anges classés les plus bas dans la hiérarchie, cela m’aurait évité bien des chagrins, mais l'homme n’aurait pas eu de mérite à faire le bien.

Faire le bien, discerner avec son intelligence ce qui est le bien du mal, ce qui est mieux que le bien ; en avoir la persévérante volonté voilà la grandeur de l'homme. Or s’il y avait eu un verrou de sécurité, s’il y avait eu la moindre orientation vers le bien, le mérite de l'homme aurait été bien moindre.

J’ai créé le monde matériel pour permettre à l'homme d’expliciter mon image et ma ressemblance qui est en lui, avec toutes les particularités qui lui sont propres. Or cette ressemblance n’est pas seulement d’ordre ontologique, ou essentielle, comme l'on voudra, mais aussi d’ordre existentiel en exerçant pleinement la liberté.

Celle-ci s’exerce le plus parfaitement possible à travers les relations humaines ; lorsque l'homme refuse la colère, la haine et l'égoïsme celui-ci explicite mon image qui est en lui, par contre lorsqu’il cède à ces trois maux il recouvre mes traits et l'explicitation de la divinité qui est en lui prendra plus de temps, c’est là le seul châtiment, il n’y a ni purgatoire ni enfer.

Dans ce contexte de liberté et responsabilité absolue de soi, devant sa conscience et devant moi, ce qui revient à peu près au même parce qu’une conscience non viciée a les même critères moraux que moi, la doctrine du rachat de l'humanité ou de l'homme par Jésus est une absurdité, ou au mieux un placebo pour des consciences troublées à l'extrême. Aucun repentir, aucun gémissement, aucune larme ne m’est agréable, ce qui m’est véritablement agréable c’est la volonté constante de bien faire pour autrui.

Satan m’a reproché tout à l'heure d’avoir rendu l'homme presque aveugle dans l'exercice de la liberté en l'empêchant de maîtriser jusqu’aux dernières conséquences de ses actions. Mais s’il pouvait le faire, il réduirait ses relations aux personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêts que lui et se priverait ainsi de nombreuses relations intersubjectives qui lui permettent non seulement d’exercer son discernement mais aussi de connaître d’autres modes de vie et de pensée.

Mais il y a aussi une progression spirituelle collective, ou sociale si l'on préfère. Celle-ci est différente de l'intersubjectivité pure parce qu’elle se place non plus dans un cadre strictement privé fait de sympathie ou d’antipathie, mais dans un cadre disciplinaire, ou chacun doit contribuer à la bonne marche non seulement de la société ou il travaille, mais encore de sa nation, et pour finir de l'humanité.Ce n’est pas par hasard que j’ai prononcé le terme « disciplinaire » parce que la vie sociale a pour objectif d’aider l'homme à développer l'altruisme. Or dans quel contexte dépourvu de sens moral puis-je développer l'altruisme chez les humains sinon lors des catastrophes naturelles dont personne n’est responsable, à l'inverse des guerres et des révolutions ? Voilà pourquoi Satan, aucune lave ne remonte dans un cratère, ni aucune prévision de catastrophe n’est démentie.

Je connais bien Théophile et je l'aime, il souffre le martyre et a une sourde colère contre moi ; mais ce n’est pas de ma faute s’il croit faussement que tout est absolument prédéterminé, je n’ai dirigé vers lui ni Hermine ni Mirtille ; je sais qu’il a sincèrement essayé de leur pardonner mais que sa douleur et sa colère sont trop vives lorsqu’il pense à elles ou lorsqu’il a besoin de tendresse ou de rapports sexuels, cependant le fait de désirer pardonner est déjà bien, peut-être y arrivera-t-il un jour. Mais je sais aussi que sa sensibilité est beaucoup plus aiguisée, plus à vif ; qu’il se met plus facilement à la place d’autrui.

Quant à l'islam, qu’y puis-je ? L'homme aime la guerre parce qu’il aime la puissance et que la guerre est à ses yeux la manifestation la plus éclatante de la puissance en ce sens qu’elle crée de l'irréversible en donnant la mort. Créant de l'irréversible, il s’imagine s’égaler à moi, mais l'homme n’a pas encore compris que la vraie puissance est dans la création et non dans la destruction. C’est parce qu’il ne voit l'éternité qu’à travers la négativité de la mort, parce qu’il ne peut pas ressusciter les morts et que d’autre part il voit que toute chose matérielle périt.

Mais lorsqu’il aura réalisé sa divinisation sur terre comme au ciel, alors il verra ce qu’est réellement l'éternité ainsi que le labeur dans cette perspective.

L'intuition d’une évolution spirituelle infinie, avec différents points de départ selon la qualité de vie menée est fondamentalement exacte, mais il n’est pas logique de croire, comme le font les mormons, que l'évolution spirituelle ne peut se faire que sur la lancée initiale, parce qu’alors où serait la liberté de l'âme ? Où serait la force libératrice du repentir et du pardon ? Et enfin à quoi servirait l'accumulation de la sagesse d’un niveau si ayant le désir de passer au niveau supérieur, l'âme n’en a pas le droit ?

Mesdames et Messieurs les Jurés, je vous remercie de votre attention !

Michel :
Merci ! Nous allons passer au vote.

Je vous rappelle les trois possibilités de vote : Dieu est : intégralement responsable du malheur des hommes, pour moitié, ou innocent.

Michel :
Voici le verdict : Vingt pour cent pour les deux extrêmes et soixante pour cent qui pensent que Dieu et l'homme sont co-responsables des maux de l'humanité.

Avez-vous des commentaires à faire ?

Satan :
Oui, je crois que l'on peut qualifier ce jugement d’équitable et lucide.

L'humanité reconnaît ses bêtises mais elle dit aussi à Dieu qu’il aurait pu, et dû, intervenir plus énergiquement pour épargner les plus grandes catastrophes telles les génocides ou les famines qui frappent indistinctement jeunes et vieux, pécheurs invétérés et occasionnels.

Je pense aussi que l'humanité ne veut pas du cadeau empoisonné qu’est la liberté totale et qu’elle souhaite en quelque sorte un filet de sécurité.Dieu :

Je suis d’accord avec les conclusions de Satan. Cependant Satan est pressé et pragmatique jusqu’à faire abstraction de l’indélébile dignité humaine que renforce l’absolue liberté.

 

Satan :

La dignité est pour les puissants, non pour les faibles ; et l’homme est faible !

 

Dieu :

Aussi veux-tu lui faciliter la tâche en lui ôtant la liberté. Mais j’ai confiance dans la force potentielle de l’humain.

Maintenant que le procès est clos, je reste Dieu et j’annonce clairement qu’il n’y aura pas de filet de protection parce que cela atténuerait la gravité des choix et émousserait la conscience morale de l'homme, qui ne l'est déjà que trop.

 

Achevé d’imprimé 4ème trimestre 2004

Par AQUIPRINT-REPRO – Bordeaux (Gironde)
FRANCE

Pour

Association Pour l’Aide à l’Edition

BP 30601 68009 COLMAR Cedex

ISBN 2-7512-0005-2

Dépôt légal 4ème trimestre 2004

Site Internet
www.apaeditions.com

 

 

Publicité
Commentaires
Publicité